La prise des canons

Le coup d’état pressenti par la Garde Nationale n’a pas tardé à se réaliser ! Thiers, ignorant l’avis des maires d’arrondissement, a tenté cette nuit de voler les canons des parisiens. Sans succès ! Paris tout entier s’est levé pour les défendre. Les canons ont été conservés, partout le peuple, les gardes nationaux et les soldats fraternisent. Désormais le Comité Central est seul maître de la ville. Place au peuple !

Collage des canons de Montmartre, au Sacré Coeur. vendredi 18 mars 2011 (google map)

C’est au coeur de la nuit que commencent les mouvements de troupes. Ce sont des généraux de l’Empire qui commandent les régiments chargés de soustraire ses armes au peuple de Paris. Les troupes se déploient en coupant toute circulation aux points stratégiques de la ville, place de la Bastille, à la Cité et à l’Hôtel de Ville.

Thiers, pressé par les députés qui réclamaient depuis une semaine le désarmement de la garde nationale, veut en finir avec l’agitation républicaine à Paris. Les militaires ont ordre de s’emparer des canons avant le lever du jour. Rassemblés depuis le siège sur les hauteurs de la ville, ces canons ont été achetés par souscription publique. Pour les parisiens, c’est à la fédération républicaine de la garde nationale d’en disposer, certainement pas à une armée à la solde des monarchistes.

Gardes nationaux et un canon sur la Butte Montmartre

Au matin des affiches encore humides sont apparues dans toute la ville, signées Adolphe Thiers. Il annonce prématurément la prise des canons de la Garde Nationale, tout enjoignant « les bons citoyens » à se séparer des malintentionnés qui défient l’autorité de l’état. C’est insulter les parisiens qui se sont battus pour la République !

Aux Buttes-Chaumont, à Belleville et à la Villette, l’opération semble se dérouler comme prévu. Les soldats occupent les postes de la garde nationale, et commencent à évacuer les pièces d’artillerie. Mais les attelages tardent à arriver, et on ne déplace pas des canons en les portant à bras…

Ils n’auront pas les canons !

À Montmartre, la brigade du général Lecomte ouvre le feu sur un garde national qui refuse de céder le passage. Louise Michel, présente sur les lieux, court alerter le comité de vigilance; on bât le rappel dans tout le quartier. Alertée par le bruit du tambour, une foule nombreuse d’habitants et de gardes nationaux furieux se masse au bas des buttes.

Les femmes du quartier se rassemblent devant les canons, et interpellent les soldats. Pendant ce temps, aux cris de « Vive la République », les soldats du 88ème régiment de ligne se rallient à la foule. Gardes nationaux et lignards avancent vers les troupes de Versailles, déterminés à conserver les canons.

Cerné, Lecomte ordonne de tirer sur la foule. Les lignards refusent 3 fois. Ils lèvent les crosses de leurs fusils, en signe de mutinerie. Lecomte est arrêté ainsi que ses officiers, et on lui fait signer un ordre d’évacuation destiné aux troupes.

Soldats et Gardes Nationaux fraternisant le 18 mars 1871 par Gaillard.

Place de la Bastille, les lignards fraternisent avec les gardes nationaux. Aux Buttes-Chaumont, à Belleville et au Luxembourg, les soldats ont été pareillement arrêtés par la population. Au total c’est une dizaine de canons tout au plus que les attelages auront réussi à emmener. L’opération est un échec pour Thiers, et l’Assemblée monarchiste n’a d’autre choix que de se plier à la volonté du peuple. À moins de vouloir déclarer la guerre à Paris ?

Barricade de la rue de la Roquette, place de la Bastille, le 18 mars 1871

La foule demande des coupables. Dans l’après-midi le général Clément Thomas, qui s’était déjà illustré en réprimant l’insurrection de 1848, est reconnu alors qu’il inspecte des barricades habillé en civil. Thomas et Lecomte sont conduits rue des Rosiers, sur la butte Montmartre. Tous deux sont fusillés. Dans la foulée, la Garde Nationale défile sous les fenêtres du ministère des Affaires Étrangères où s’étaient réunis Thiers et ses ministres, ce qui eu pour effet de précipiter  leur fuite.

photomontage de l’exécution des Géneraux Clément-Thomas et Lecomte, rue des Rosiers

A dix-huit heures, le gouvernement donne l’ordre aux troupes d’évacuer Paris. La décision vient de Thiers, dépassé par la tournure des évènements. L’autorité de l’Assemblée n’a plus cours à Paris. Le Comité central, qui n’est en rien impliqué dans les événements de la journée, devrait se réunir ce soir à l’Hotel de Ville. Désormais, le peuple de Paris est libre !

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Jacques Tardi et Jean Vautrin, Musée Carnavalet.