Le dernier combat de Montmartre
Montmartre est tombé ! La grande forteresse, prise à revers par la division Montaudon, et de front par les hommes des généraux Clinchant et Ladmirault qui s’étaient assurés le contrôle des Batignolles, n’a pas résisté à l’assaut des Versaillais. Aussitôt les soldats commencent les exécutions sommaires. On massacre au hasard, fédérés et habitants du quartier, hommes, femmes et enfants sans distinction.
Au centre, les barricades de la rue Royale, la redoute Saint Florentin et la Concorde tiennent encore. Rive gauche, la résistance est exemplaire au carrefour de la croix rouge, où Varlin arrête les soldats. Wroblewski fortifie le pantheon et la butte au cailles et tient en échec les versaillais. Alors que la nuit tombe, les lueurs inquiétantes des incendies montent dans l’obscurité.
Dès l’aube, les bombardements reprennent. Les soldats de Ladmirault progressent le long des remparts au nord, et contournent ainsi les positions fédérées, tandis que les hommes de Clinchant s’élancent à l’assaut des Batignolles. La résistance est rapidement vaincue aux barricades de la rue Cardinet, Nollet et La Condamine. Mais les troupes se heurtent à la barricade de la place Clichy. Là, une cinquantaine de gardes nationaux abrités derrière une barricade de fortune, tiennent plusieurs heures. À court d’obus, ils chargent les canons de pierres et de bitume. Quand la poudre vient à manquer, ils se replient sur la rue des Carrières. Une vingtaine de fédérés restent pour défendre l’ouvrage. La barricade conquise, ils refusent de se rendre. Les Versaillais les fusillent.
Bientôt les Batignolles sont sous le contrôle de l’armée. Benoît Malon, qui dirige les opérations militaires dans l’arrondissement, manque d’être cerné dans la mairie du XVIIème, où il est retranché avec une centaine de fédérés. Rejoints par une trentaine de femmes, dont Louise Michel et Elizabeth Dmitrieff qui ont dû évacuer la place Blanche, les derniers défenseurs des Batignolles se replient sur la butte Montmartre.
À Montmartre, la situation est critique. Les renforts et les munitions promises ne s’y trouvent pas, quelques centaines d’hommes à peine tiennent la position. Pire, les artilleurs ont fui. Du haut de la butte, les fédérés se retrouvent incapables de pilonner leur adversaire qui approche. Le maréchal Mac-Mahon envoie à l’assaut ses meilleurs soldats.
Les lignards gravissent la butte par les rues Lepic et Marcadet. La division Montaudon, entrée par la porte de Saint Ouen avec la complicité des prussiens, qui trahissent ainsi leur voeu de neutralité, surprend les fédérés par derrière. L’artillerie versaillaise bombarde leurs positions. Toutes les maisons d’où proviennent des tirs sont incendiées, leurs occupants abattus. À midi, les soldats s’installent au moulin de la Galette, prennent la mairie, et occupent sans difficulté tout le 18ème arrondissement. Le général Dombrowski, qui combat aux côtés de Vermorel, tombe mortellement blessé rue Myrrha.
Immédiatement, les exécutions sommaires commencent. Les quelques fédérés encore vivants sont conduits au poste de la rue des rosiers, à l’emplacement où le 18 mars on avait exécuté les généraux Lecomte et Thomas. On aligne une cinquantaine d’hommes, de femmes et d’enfants rassemblés au hasard, que l’on oblige à s’agenouiller au pied du mur. Et on les fusille tous.
On reçoit de meilleures nouvelles de la rive gauche. Varlin et quelques braves repoussent énergiquement les Versaillais au carrefour de la Croix-Rouge. Les Versaillais s’épuisent à remonter la rue de Rennes, tandis que la rue Vavin fait feu de tout bois. Ce soir, le quartier du Luxembourg restera entre les mains de la Commune. Les barricades de la rue Royale, Saint Florentin et la place de la Concorde tiennent toujours.
Wroblewski et ses hommes disputent le pantheon aux versaillais, aidés par les pièces de la Butte-aux-Cailles.
Alors que la nuit tombe, les lueurs inquiétantes de plusieurs incendies montent dans l’obscurité. Le Conseil d’État, la Légion d’honneur, la Cour des comptes, tous ces symboles du pouvoir impérial que personne n’avait inquiétés sous la Commune, ont été incendiés. Les Tuilleries sont un grand brasier. Si les Versaillais veulent réduire Paris par la force, les insurgés ne laisseront pas la grande ville tomber intacte aux mains de la Réaction.
incendie des Tuilleries, le 23 au soir
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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.