Les clubs politiques
Les fédérés ayant dû abandonner le fort d’Issy, les combats se poursuivent dans le village. Rossel, arrêté suite à cet échec sur l’accusation de trahison, s’est enfui. C’est Delescluze qui le remplacera à la Guerre. Dans Paris, les citoyens s’organisent pour exprimer leur mécontentement : le club des Prolétaires, crée le 7 mai, s’est doté d’un organe de presse dont le premier numéro est paru hier. Il encourage les parisiens à se constituer en clubs politiques, afin de maintenir un contrôle populaire sur les élus de la Commune.
Le fort d’Issy a été évacué ! Acculés sous le feu incessant des versaillais, les derniers hommes qui tenaient la position ont été forcés de fuir avant-hier soir, dans la nuit du 8 mai. La Commune n’apprend la nouvelle que dans l’après-midi du 9. Rossel, délégué à la Guerre et commandant des troupes fédérées, est aussitôt mis au courant de la débâcle. Sans avertir le conseil de la Commune ou le Comité de Salut Public, il fait afficher une proclamation, rédigée comme suit : “Le drapeau tricolore flotte sur le Fort d’Issy, abandonné hier par la garnison.”
Est-ce trahison ? On sait que l’officier connaissait la situation du fort, en difficulté depuis plusieurs jours. Il avait même reçu une délégation des bataillons d’Issy l’avertissant du danger imminent, et pourtant n’avait rien concédé. Que signifie cet aveu d’échec ? Est-ce un signal envoyé à Versailles ?
Très vite, le doute n’est plus permis. Rossel écrit en effet une lettre de démission à la Commune, affirmant qu’il renonce à la responsabilité “d’un commandement où tout le monde délibère et où personne n’obéit”. Il envoie sa lettre aux journaux, ce qui a pour effet immédiat de décourager la population insurgée, déjà troublée par la proclamation du matin, offenser la résistance héroïque des braves défenseurs de Paris, et communiquer à Versailles et aux amis de l’Ordre les défaillances militaires de la Commune.
Le conseil de la Commune décrète l’arrestation immédiate de Rossel, et fait afficher une proclamation rassurante, qui annonce que “la Commune vient de prendre les mesures énergiques” qu’exige la situation. En séance, les élus nomment Delescluze à la Guerre. Alors que le général Rossel, arrêté, a donné sa parole et promis de se soumettre au jugement du conseil, il dissipe les derniers doutes sur sa culpabilité en s’enfuyant avec son ami Gérardin.
Jamais dans Paris on ne s’était exprimé aussi librement, que depuis la proclamation de la République. Les journaux politiques, satiriques, les feuilles populaires se développent, de nombreuses réunions publiques ouvertes à tous sont organisées, et partout des clubs et comités divers voient le jour. La Commune de Paris a donné une nouvelle impulsion à ce mouvement, en encourageant les réunions politiques.
Dans tous les quartiers, les murs sont couverts d’affiches et de placards qui annoncent les réunions populaires. Dans ces assemblées, qui ont lieu le soir, la parole est totalement libre, pour les hommes comme pour les femmes. Après les combats de la journée, les citoyens viennent s’instruire et débattre au club.
Les clubs parisiens, qui se regroupent par quartiers ou par affinité politique, sont aussi un puissant moyen de pression populaire sur les élus de la Commune, et de contrôle de leur mandat impératif. On en dénombre une trentaine. À l’origine, les réunions des clubs se tiennent dans les salles de spectacle ou les écoles; mais avec l’avènement de la Commune, les églises deviennent le lieu privilégié des réunions politiques. Les républicains s’y installent le soir, laissant la journée aux offices des curés qui n’ont pas fui Paris.
Chaque soir, la révolution monte en chaire dans une dixaine d’églises parisiennes. Le club de la Révolution Sociale des Batignolles, animé par des Internationaux, occupe l’église Michel, tandis que celui de la Révolution, dans le XVIIIème, où on retrouve l’élu blanquiste Ferré et Louise Michel, tient l’eglise Bernard. Les femmes animent aussi des clubs féminins, comme à la Trinité, ou à Notre-Dame de la Croix.
Le club des Prolétaires, qui s’était emparé le 7 mai de l’église Ambroise dans le XIème, a même fondé son journal. Dans le premier numéro du Prolétaire, paru ce matin, l’organe du club expose son programme : la Commune comme principe indiscutable, le contrôle direct des élus par le peuple, la fédération politique et sociale, et la suppression de tout privilège ou monopole pour que les travailleurs profitent enfin du produit de leur travail.
C’est le Franc-Maçon David qui est à l’origine de cette initiative, entouré de nombreux membres du sous-comité du 11ème arrondissement. Internationaliste et blanquiste, David entend propager “l’éducation du peuple par le peuple”.
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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.