Décret des ateliers

Depuis deux jours les canons de Versailles pillonent le château du Bécon, tenu par les gardes nationaux commandés par Théophile Dombrowsky, le frère du général polonais. Aujourd’hui la Commune a décidé par décret la réquisition de tous les ateliers abandonnés, qui devront être rapidement remis en marche par les ouvriers qui y étaient employés, réunis en association coopératives. Les résultats des élections complémentaires au conseil de la Commune, prévues pour aujourd’hui, seront rendus publics demain.

Coopérative de fondeurs de canons, 15 rue St Maur ( google map )

C’est un décret historique pour les travailleurs de tous les pays que prenait tout à l’heure la Commune. Le décret prévoit d’abord un inventaire des ateliers abandonnés, privés d’ouvrage par la fuite des patrons à Versailles, afin d’établir un plan de remise en marche de ces ateliers au plus vite. La Commune l’a bien compris, les travailleurs n’ont pas besoin de patrons pour produire !

Les ateliers seront confiés aux ouvriers qui y travaillaient, qui sont encouragés à constituer des cooperatives ouvrieres de production à cet effet. Dans ces structures sans hiérarchie, les travailleurs partagent équitablement les profits, les contre-maîtres sont élus et révocables par les salariés, les amendes interdites, et la journée de travail limitée à dix heures. Un projet de constitution de ces sociétés ouvrières est d’hors et déjà à l’étude, ainsi que la nomination d’un jury qui devra décider de l’indemnisation payée aux patrons à leur retour, contre la cession définitive des ateliers.

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La commission du Travail et de l’Échange, majoritairement composée d’internationaux, s’est félicitée de l’adoption du décret. Tâchant d’assurer le fonctionnement des entreprises publiques, dont la manufacture des tabacs, la boulangerie de la manutention et les diverses fabriques d’armes, ses membres poursuivent aussi leurs efforts pour mettre fin aux injustices dans le travail.

Dès le 2 avril, la commission supprime les bureaux de placement qui répartissaient les travailleurs selon l’ouvrage disponible. Ces bureaux, strictement surveillés par la police, permettaient aux « placeurs » de vivre sur le dos des travailleurs en prélevant des commissions à l’embauche. Leur suppression est ordonnée, et dans chaque arrondissement on forme à leur place des bourses du travail.

Le délégué Leo Frankel, assisté d’une commission composée uniquement de travailleurs, a annoncé de nombreux projets : la suppression du travail de nuit dans les boulangeries, la fin du systême scandaleux des ammendes dans les ateliers et manufactures, et le soutien à toutes les cooperatives ouvrières qui souhaiteraient se créer pour remplacer les entreprises capitalistes.

La commission veut aussi mettre fin au scandale des marchés publics. Dorénavant, il sera établi un cahier des charges précisant le salaire de la main d’œuvre dans tous les marchés conclus par la Commune. Le délégué a précisé que la commission, en lien avec l’Union des Femmes, veut organiser le travail des femmes selon les mêmes critères que celui des hommes.

On connaitra demain les résultats des élections complémentaires au conseil de la Commune. Il y a 31 sièges inoccupés parmi les 92 sièges du conseil : certains membres sont emprisonnés, comme Blanqui ; d’autres sont morts pour la cause, comme Flourens et Duval. Avec les fuites et les déplacements de population de ces derniers mois, les constants reports et l’état des listes électorales depuis les bombardements de ces dernières semaines, l’abstention devrait à nouveau être importante.

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Jacques Tardi et Jean Vautrin, Musée Carnavalet.