La Commune et les étrangers

Hier les soldats versaillais prenaient le château du Bécon, qui contrôle la route d’Asnières et de Courbevoie. Paris est de nouveau assiégé, pris en tenaille entre les prussiens qui occupent les forts du nord et de l’est, et les soldats de Versailles qui ferment le cercle. Mais la solidarité s’organise. Ce matin la Commune a publié deux motions de soutien que lui ont adressé les travailleurs anglais de l’AIT, et les délégués du peuple algérien qui a déclenché une insurrection !

Le « Père Trankil », zouave kabyle qui a rejoint la Commune, lundi 18 avril 2011 à la Butte aux Cailles (google map)

Alors qu’en province les grandes villes se soulèvent, en Algérie une insurrection réclame la Commune ! Le Père Trankil, croisé ce matin dans le XIIIème arrondissement, se félicite du communiqué des insurgés algériens qui a été publié ce matin. Déclarant « adhérer de façon la plus absolue à la Commune de Paris », il déplore que cette déclaration datée du 28 mars ne soit pas parvenue plus tôt à Paris. « Ainsi le peuple algérien a pris les armes à son tour, nous aurons bientôt la république universelle ! » Dans le texte, les délégués expliquent leur révolte en ces termes, inquiétants pour la réaction : « L’Algérie toute entière revendique les libertés communales ».

Elisabeth Dimitriev, Léo Frankel et Jaroslaw Dombrowki

Fidèle à la tradition internationaliste de 1848, la Commune encourage officiellement la participation les étrangers. Un juif hongrois, ouvrier bijoutier membre de l’AIT, est même élu au conseil de la Commune par le XIIIème arrondissement. Leo Frankel devient le délégué à la commission du Travail et de l’Échange, et participe à ce titre à l’oeuvre sociale de la révolution. La commission des élections qui valide son élection le 30 mars 1871, érige en principe la citoyenneté des étrangers, en considérant « que le drapeau de la Commune est celui de la République universelle« .

Parmi les étrangers engagés dans la Commune, beaucoup de militants de l’Internationale. Comme Frankel, la jeune russe Elisabeth Dmitrieff est membre de l’AIT. À vingt ans à peine, elle a déjà voyagé en Suisse et en Angleterre. Lors de son séjour à Londres, elle se lie à Karl Marx qui l’envoie à Paris comme correspondante de l’Internationale, dès mars 1871. Le 11 avril, elle est l’une des femmes qui créent l’Union des Femmes pour la défense de Paris, dont elle est avec Natalie Lemel l’une des militantes les plus actives.

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De nombreux officiers de la Garde Nationale sont des révolutionnaires italiens et polonais. Ces soldats qui ont animé l’insurrection polonaise de 1863 qui réclamait l’indépendance, ou combattu avec Garibaldi pour faire l’unité italienne contre l’Église, mettent leur expérience au service de la Commune. Ils ont souvent été choisis par les bataillons, qui élisent eux-mêmes leurs officiers.

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Wroblewski est l’un de meilleurs officiers de l’insurrection polonaise de 1863 contre l’Empire de Russie. Blessé, il s’exile à Paris en 1864, et devient allumeur de réverbères, puis ouvrier imprimeur. Durant cette période il milite au Comité de l’Union des démocrates polonais. En 1870, pendant le siège de Paris, sa proposition de créer une légion polonaise est rejetée par le Gouvernement de la Défense nationale.

Remarqué pour sa bravoure et son sens tactique, Wroblewski a été nommé par la Commune commandant des fortifications du sud de Paris, d’Ivry à Arcueil. Les parisiens peuvent lui faire confiance, l’enceinte est bien gardée.

Aux gardes nationaux se mêlent aussi des soldats des colonies qui ont rallié l’insurrection. La Commune a aussi annoncé la reformation du corps des Zouaves de la République, qui iront se battre aux côtés des insurgés. Crées en 1830 après la conquête de l’Algérie, les quatre régiments de Zouaves avaient été dissous après la défaite de Sedan.

Zouaves jouant aux cartes à Vincennes. Gouache anonyme, vers 1870

Paris accueille aussi un grand nombre de travailleurs immigrés, principalement de Suisse, de Belgique ou du Luxembourg. Ils sont concentrés dans les quartiers populaires, à La Villette, à Belleville, ou dans le XIIIème arrondissement.

Journaliers ou artisans pour la plupart, ils sont favorables à la Commune et n’hésitent pas à s’engager pour la défendre. Un comité a annoncé la formation d’une légion fédérale belge, qui entend participer à la défense de Paris et de la Commune !

Manifestation de Hyde Park, à Londres en soutien à la Commune de Paris le 16 avril 1871

Partout, surtout dans les milieux ouvriers, la Commune suscite l’espoir. Depuis Londres, le conseil général de l’AIT a aujourd’hui fait parvenir une lettre où elle apporte son soutien à la Commune de Paris. Les sections de l’Internationale organisent la solidarité, comme à New York où 3000 ouvriers manifestent en soutien à la Commune de Paris. Tous souhaitent aux parisiens de continuer leur juste combat. À nous de défendre la liberté et la république !

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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.