Le défilé des francs-maçons
Les Francs-Maçons ont obtenu cet après-midi un cessez-le-feu provisoire ! Comme ils l’avaient annoncé il y a trois jours, ils étaient des milliers à défiler cet après-midi en soutien à la Commune, et pour exiger l’arrêt des combats. Une délégation a une nouvelle fois été envoyée à Versailles, dans l’espoir de conclure un accord de paix entre l’Assemblée et Paris. Les frères ont déployé leurs bannières sur les remparts, et assuré que si une seule balle venait à les toucher, les francs-maçons prendraient les armes, pour se battre aux côtés des fédérés.
Tandis que les bombardements versaillais s’intensifient, les tentatives de conciliation, menées par les groupes les plus divers, se multiplient. Le fort d’Issy, en difficulté depuis quelques jours, résiste encore aux efforts de l’armée réactionnaire. Les exécutions de prisonniers n’ont pas cessé. Le 25 avril, des cavaliers versaillais surprennent quatre fédérés à la Belle-Épine, près de Villejuif ; les fédérés se rendent, et sont emmenés par les soldats. C’est alors qu’un officier survient, et sans dire un mot, décharge son revolver. Deux fédérés meurent sur le coup, les autres sont laissés pour morts.
Les conciliateurs sont nombreux, et insistent tous sur les mêmes revendications : affermissement de la république, et reconnaissance des franchises municipales. La ligue des droits de Paris, l’Union des Chambres Syndicales et de nombreux journaux, parmi lesquels certains pourtant peu favorables à la Commune, soutiennent ce programme. Parmi les maires et les députés de Paris, les moins acharnés contre l’insurrection s’emploient à obtenir ces concessions de Thiers et de l’Assemblée, soutenus par certains députés républicains. Mais Foutriquet reste inflexible.
La loi municipale, votée par l’Assemblée Nationale le 14 avril, est une nouvelle provocation. Alors qu’elle autorise l’élection des maires par le conseil municipal, lui-même élu, dans toutes les communes de moins de 20 000 habitants, les communes dont la population dépasse ce chiffre restent soumises à la nomination des maires par le pouvoir central. Alors que les conciliateurs insistaient sur les franchises municipales, Paris conserve un régime spécial qui prévoit la nomination et non pas l’élection des maires d’arrondissement.
Cette dernière mesure fait basculer de nombreux parisiens et provinciaux, en particulier des grandes villes, dans le camp de la Commune. Jean-Baptiste Millière, député de la Seine, monte l’Alliance Républicaine des Départements, qui rassemble plusieurs milliers de provinciaux favorables à la Commune. Organisés en groupes départementaux, ils s’efforcent de contrer la propagande versaillaise en informant leur région par l’envoi régulier de délégués, de circulaires, et de prospectus contenant les dernières nouvelles de Paris.
Parmi les conciliateurs, les francs-maçons font partie des plus actifs. Depuis le début du mois d’avril, ils cherchent à conclure une trêve. Dès le 8 avril, les frères avaient publié un manifeste demandant l’arrêt des combats. Ils somment l’Assemblée d’empêcher « l’effusion de ce sang précieux ». Thiers leur répond : « Il y aura quelques maisons de trouées, quelques personnes de tuées, mais force restera à la loi ». Scandalisés par la réponse de Thiers, ils la font imprimer et afficher dans Paris.
Une délégation de francs-maçons conduite par Ranvier est reçue à la Commune le 25 avril. Dans la cour d’honneur de l’Hôtel de Ville, Thirifocq prend la parole : « Si, au début, les francs-maçons n’ont pas voulu agir, c’est qu’ils tenaient à aquérir la preuve que Versailles ne voulait entendre aucune conciliation. Ils sont prêts, aujourd’hui, à planter leurs bannières sur les remparts. Si une seule balle les touche, les francs-maçons marcheront d’un même élan contre l’ennemi commun. » Les délégués applaudissent et s’embrassent. Jules Vallès, au nom de la Commune, tend son écharpe rouge que l’on accroche à la bannière des francs-maçons.
Comme ils l’avaient annoncé, les francs-maçons se sont rassemblés aujourd’hui au Carrousel du Louvre. Près de six mille frères, représentant 55 loges, étaient alignés en bon ordre, entourés d’une foule immense. Conduits par six membres de la Commune, ils défilent encadrés par des bataillons de la Garde Nationale déployés en haie d’honneur, d’abord en direction de l’Hôtel de Ville, puis des Champs-Elysées, en passant par la Bastille. La musique lente et solennelle des tambours accompagne les frères, qui marchent derrière la grande bannière blanche de Vincennes, où l’on peut lire en grandes lettres rouges « Aimons-nous les uns les autres », accompagnée d’un drapeau rouge. La foule applaudit les loges qui défilent en soutien à la Commune, en particulier une loge de femmes qui est très remarquée.
Les francs-maçons parviennent vers quinze heures au poste avancé le plus exposé, celui de la Porte Maillot. Dévasté, ne disposant que de quelques artilleurs qui doivent opérer à découvert, le poste de la Porte Maillot est sous le feu constant de l’artillerie versaillaise depuis le début du mois d’avril. Quand la délégation dresse sur les remparts la bannière blanche de Vincennes, les versaillais cessent le feu. Les délégués et quelques membres de la Commune s’avancent, bannière en tête. Parvenus au pont de Courbevoie, ils sont reçus par un officier qui les conduit au général Montaudon, lui aussi franc-maçon. Celui-ci autorise trois délégués à se rendre à Versailles, et accepte le principe d’une trêve.
Ce soir, c’est une nuit calme qui attend les parisiens. Espérons que la délégation saura faire entendre raison à l’Assemblée de Versailles !
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© illustrations: Bibliothèque historique de la ville de Paris, éditions Dittmar, Musée Carnavalet.